Le Goût des jeunes filles

Dany Laferrière

Zulma

  • Conseillé par
    2 février 2018

    Qui sont ces jeunes filles à la beauté insolente qui en ce début des années 70 sillonnent les rues de Port-au-Prince à bord de la Buick du mystérieux Papa ?
    C'est ce que nous découvrons sous le regard croisé d'un jeune garçon qui les observe, d'abord de loin puis de fort près, et de l'une d'entre elles qui écrit un journal intime. Enfin pas vraiment l'une d'entre elles car Marie Michèle ne fait pas partie de leur monde. Elle vient d'un milieu très privilégié, un "cercle doré" qu'elle déteste et fuit tant qu'elle peut en infiltrant la bande des filles.
    Vues au travers du prisme de la jeunesse ou de l'inexpérience des deux adolescents, les jeunes filles paraissent superficielles ne pensant qu'à aller danser, se baigner, se chamailler et draguer mais cette façade de futilité cache une révolte, un refus de se laisser subordonner à une dictature. Elles sont les filles d'un peuple qui vit dans un monde de misère et de terreur où le danger de mourir, et pas seulement de chaud, est omniprésent. Pour survivre, échapper aux difficultés insurmontables de la vie quotidienne, elles ne disposent que de leur extraordinaire appétit de vivre et de leurs corps dont elles usent comme elles l'entendent. C'est leur seule solution mais sont-elles plus libres pour autant ?
    Roman d'initiation et peinture de la société haïtienne sous le régime de Duvalier, Le Goût des jeunes filles est aussi un bel hommage de l'auteur aux femmes de son île natale, à sa culture et aussi plus largement à la poésie et la littérature.


  • Conseillé par
    4 décembre 2017

    Je continue ma découverte de Dany Laferrière grâce à la publication de ses romans dans l'édition poche de Zulma et je dois dire qu'à chaque ouvrage j'apprécie de plus en plus. Après les deux romans sur l'enfance : L'odeur du café et Le charme des après-midi sans fin, voici un roman sur l'adolescence et la découverte de la sensualité et la sexualité. Il alterne les narrateurs, les principaux étant le jeune homme et Marie-Michèle par l'intermédiaire du journal qu'elle tient pendant cette période, ce qui donne l'impression de deux romans dans un seul. L'un plus léger d'un premier abord, un adolescent s'intéressant de très près aux belles jeunes filles d'en face et l'autre le journal d'une jeune fille qui comprend que la vie n'est pas qu'argent et facilités mais que beaucoup en Haïti sont très pauvres et doivent se battre pour vivre. Les filles en particulier qui, dès douze ans doivent lutter contre les harcèlements, les agressions, qui lorsqu'elles sont menées par des tontons macoutes sont difficiles à éviter. On passe de la légèreté voire de la grivoiserie qui révèlent cependant toute la force nécessaire aux femmes pour vivre mais aussi les tentations de la vie facile, entretenue par des hommes influents et riches, à la réflexion assez profonde de Marie-Michèle, qui finalement rejoint les mêmes thèmes mais d'une manière différente. La différence entre les riches qui gouvernent et les pauvres qui subissent est aussi au cœur du roman, tous sont "embrigadés", formatés pour vivre dans leur milieu : "On est à peu près tous cousins, cousines et nous vivons dans le même périmètre. On va à des fêtes où on ne rencontre que des cousins et des cousines. Je n'arrêtais pas de demander à ma mère pourquoi nous sommes tous cousins et cousines. Elle semblait évasive à chaque fois. Quand j'ai vu que personne ne piperait mot là-dessus, je me suis mise à réfléchir toute seule, un soir, pour trouver enfin la réponse. C'est l'argent. L'argent, l'argent, l'argent. On se serre les coudes. On se marie avec ceux qui sont aussi riches que soi. On additionne les richesses. Et c'est ainsi qu'après deux siècles de fusion on a fini par devenir une seule et même famille. Je me doutais bien que ce n'était pas ici, à Pétionville, qu'on avait échafaudé ce système à la fois simple et répressif, basé sur trois choses fondamentales : la richesse familiale, l'exploitation du peuple et la corruption de la classe politique au pouvoir." (p.85/86)

    Dany Laferrière décrit des femmes formidables qui ne baissent pas les bras, n'abdiquent pas devant les épreuves, que ce soient les jeunes voisines de l'adolescent ou ses tantes et sa mère, des femmes souvent seules, les maris ayant fui le régime de Papa Doc ou ayant été torturés et tués par le même régime. C'est donc de nouveau un très bon roman de Dany Laferrière et je me réjouis que Zulma les édite en poche, d'abord parce que j'aime beaucoup cet éditeur et l'auteur, ensuite parce que les couvertures sont toujours magnifiques et enfin parce qu'en poche, c'est abordable.