Vagues à l'âme

Grégory Mardon

La Boîte à Bulles

  • Conseillé par (Libraire)
    14 mars 2020

    Vagues à l'âme... mais chaud au coeur.

    Les yeux émerveillés d’un enfant pour un grand père boucher dans la Marine, c’est ce que raconte cette BD toute en douceur et tendresse. Une vie ordinaire d’un homme peu ordinaire. Racontée et dessinée avec sensibilité.

    C’est un peu comme si on ouvrait une boîte à chaussures pour découvrir et raconter l’histoire de photos sépia. Des photos de famille. Sur l’une d’elles, trois hommes, cigarettes à la bouche, le regard fier et la gouaille insouciante de ceux qui ont la vie devant eux. Ils ont la tenue de marins des années trente. Il est écrit au dos « Quand on est marin, on ne s’en fout pas un brin ». Au centre, celui qui tient par les épaules ses deux amis, s ‘appelle Adolphe Hérault. Il est le grand père de Grégory Mardon, l’auteur de cette BD. Il a cette photo, le dessinateur, mais il n’a pas que cela, car il l’a connu ce grand-père et écouté religieusement pendant les premières années de sa vie: « j’avais 16 ans quand je le vis sur son lit de mort, je regrette à présent d’avoir dû garder cette dernière image en souvenir ».

    Alors comme pour exorciser cette vision, il le fait revivre sous la mine de son crayon. Pas de couleurs, de gouaches ou d’aquarelle mais des nuances de gris et de noir qui vont si bien à une vie, après tout, assez ordinaire dans son déroulement peu ordinaire. C’est que ce n’est pas un héros cet aïeul et pourtant à sa manière il ne mena pas la vie de Monsieur Toutlemonde. Adolphe, dit « Dodo » travaille dans une boucherie à Douai mais il se dit très vite « qu’il ne passera pas son existence ici ». Alors il s’engage dans la Marine Nationale pour se retrouver à bord à … la boucherie. Commencent alors des récits de voyage riches d’amitié, de découvertes comme ces pyramides «  des terrils en pierre de taille », de bagarres et d’amour. C’est qu’il est un peu caïd Dodo, un peu sportif, un peu désobéissant et il se retrouve souvent aux fers en fond de cale. Une forte tête qui préfère les poings aux bons-points.

    Ces histoires, il les a souvent racontées à son petit fils, les a sûrement enjolivées mais dans l’esprit de l’enfant elles devinrent épopée, mythe familial, suscitant l’imagination du petit Grégory quand son grand père vient chez lui à Arras. Le talent de Grégory Mardon devenu dessinateur, scénariste de Bd et adulte, est de traduire avec une grande justesse de ton cette admiration devant des histoires qui devinrent des légendes.
    Le dessin est d’une douceur infinie quand il s’agit d’évoquer l’amour de Dodo pour sa femme et ses enfants. Il capte le passage du temps et les dernières pages de Adolphe en retraite, aimant toujours Carmen et devenant turfiste, avant de succomber à la maladie sont magnifiques. Jusqu’à ce pied de nez de Dodo qui mourut dans une petite chambre à l’étage créant un beau « bordel pour l’amener au cercueil qui ne pouvait passer nulle part ». Tendresse, humour, mélancolie, un joli cocktail auquel le noir et blanc va si bien, écartant tout exotisme ou tape à l’oeil.
    A sa manière, cette BD nous donne envie d’aller voir à notre tour la boîte à chaussures dans le bas de l’armoire, pour y rechercher trace de notre passé, qu’il soit couleur sépia ou en couleurs. Et d’y retrouver peut être l’image d’un grand père ou d’une grand mère, image qui s’efface à la vitesse vertigineuse de l’oubli.

    Eric