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Conseillé par Jean-Luc F. (Libraire)16 mai 2021
L'ascension de Mussolini comme si vous y étiez
« Un roman total » annonce l'éditeur sur le bandeau rouge qui ceint la couverture du livre. Sans doute faut-il comprendre qu'il s'agit d'embrasser la totalité des événements qui, depuis la fondation des Faisceaux de combat le 23 mars 1919 jusqu'à la confirmation par l'Assemblée de Mussolini au poste de Premier ministre le 3 janvier 1923, ont conduit l'Italie à la dictature fasciste. Embrasser la totalité des événements c'est bien le sentiment que suscite la lecture de ce ces 850 pages passionnantes de bout en bout : adoptant le modèle de la chronique, Scurati fait se succéder de brefs chapitres, qui racontent, chacun, un moment clé de ces quatre années. A la fin de chaque chapitre des documents (articles, lettres, extraits de discours) viennent étayer le récit, même si ce dernier n'a guère besoin d'être étayé, tant l'écriture dans sa précision et sa puissance d'évocation, nous convainc qu'il n'invente rien. Il ne nous épargne rien non plus de la terreur que les squadristi ont répandue dans les campagnes de la Plaine du Pô ou de l’Émilie Romagne, mais aussi à Bologne, Florence, Ferrare : expéditions punitives nocturnes dans les villages, incendies de fermes et de journaux, bastonnades d'ouvriers grévistes, assassinats à coups de gourdins ferrés de paysans « rouges ». C'est une Italie littéralement à feu et à sang que décrit Scurati, en nous plongeant par la force de son écriture dans ce chaos.
Comment en est-on arrivé là ? Comment l’État italien a-t-il pu s’effondrer à ce point et en si peu de temps ? A cette question qui devrait concerner chacun de nous, Scurati ne donne pas de réponse mais fournit au lecteur matière à trouver lui-même les siennes : désespoir des anciens combattants laissés pour compte à la fin de la guerre, ces Arditi qui garniront les rangs des premières Chemises noires, complicité d'une partie des représentants de l’État, démission ou opportunisme des élus, déliquescence d'une gauche minée par ses divisions, lâcheté généralisée. Émergent heureusement de ce désastre moral quelques figures courageuses, dont celle, admirable, de Giacomo Matteoti, député socialiste, qui tiendra tête jusqu'au bout à Mussolini, quasiment seul, avant d'être assassiné.
Et Mussolini précisément dans tout ça ? Là encore Scurati donne des éléments pour se faire une idée du personnage. Loin de l'image grotesque de l'histrion dont on l’affuble souvent, Mussolini apparaît plutôt comme un homme sinistre, opportuniste, manipulateur, pratiquant systématiquement le double discours. Ce n'est pas son génie politique qui l'a servi, c'est la faiblesse de l'adversaire. Scurati achève son roman sur une page glaçante, métaphorique : Mussolini, resté seul dans la chambre des députés qui vient de lui renouveler sa confiance pense pour lui-même : «Ils ne comprennent rien à ce qui se passe. Ni les uns ni les autres. Ils ne comprennent pas que je fais (...) ... des chatons aveugles enveloppés dans un sac ». Tout est dit.Jean-Luc
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Conseillé par Jean-Bernard R.15 novembre 2020
c'est vraiment un chef-oeuvre, à lire absolument. livre politique qui se lit comme un roman.
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Conseillé par Sylvain T. (Libraire)19 octobre 2020
Première pierre d’un monumental édifice littéraire, M l’enfant du siècle nous plonge dans l’histoire de l’Italie d’entre deux guerres. Jouant de la chronique en un jeu de va-et-vient entre fiction romanesque et archives, Antonio Scurati nous dresse dans ce premier opus l’ascension de Benito Mussolini, de 1919 à 1924. Partant de la création des faisceaux de combats en passant par la prise de Fiume, l’on croise le poète dandy D’Annunzio, l’artiste Marinetti, fondateur du Futurisme, et d’autres personnages marquants de cet épisode décisif de l’histoire italienne. Truculent, souvent poétique et profondément shakespearien, c’est l’Histoire qui s’écrit sous nos yeux avec bonheur, malgré la lourdeur du sujet. Couronné par le Prix Strega, l’équivalent de notre Goncourt, Antonio Scurati nous montre à quel point la faiblesse, la lâcheté, la corruption et l'aveuglement des élites italiennes alors en place ont permis l'arrivée au pouvoir du gangstérisme politique dans une Italie meurtrie et sclérosée de discorde sociale.. Une sublime réussite tant littéraire qu’historique !