Conseils de lecture

8,90
Conseillé par (Libraire)
11 octobre 2021

A la recherche de Abram Tertz au pays des Soviets

« Les services compétents » est un terme généraliste renvoyant à un bureau quelconque qui peut vous être utile (ou pas) lorsqu’il s’agit de démêler quelque imbroglio administratif. Et c’est sous ce titre que le KGB est désigné dans le dernier roman de Ian Gran. Ses missions sont clairement édictées à la page 90: « Le KGB est un organe politique réalisant les décisions du Comité central du Parti relatives à la sécurité de l’État socialiste confronté aux attaques de ses ennemis extérieurs et intérieurs. Cet organe se doit de surveiller attentivement les tentatives secrètes des ennemis du pays des Soviets, de mettre à jour leurs projets et de mettre un terme aux agissements crapuleux des agences de renseignement impérialistes. Il en découle une attitude saine de défiance envers tout le monde » ajoute l’auteur.
Il nous entraîne donc dans les couloirs tout autant que dans le savoir-faire du KGB, lancé en 1956 sur la piste d’un auteur qui publie en France sous le nom d’Abram Tertz des textes critiques envers le « réalisme socialiste ».
La tâche est rude car le fautif est malin mais il en va de la crédibilité des services que de trouver ce traître à l’idéal socialiste. Le lieutenant Ivanov met du coeur à l’ouvrage car, il l’avoue lui-même, « il aime son métier » et il le fait à fond. Il gère une trentaine d’indics et ne perd pas de vue le dossier "Abram Tertz" même si en cours de route, il va soulever d’autres lièvres ; des dégâts collatéraux, il y en aura un certain nombre.
Iegor Gran - le petit "Iegorouchka" de la page 9 - n’est qu’un bambin quand la traque de son propre père débute; il relate cette chasse à l’homme implacable avec humour et un sens de la dérision total. L’arrestation de Andreï Siniavski, son vrai nom, finit par avoir lieu en 1965, après 6 longues années d’enquêtes, d’errements et d’impasses de la part du KGB ; cette arrestation ne fait pas flancher l’auteur qui plaide non-coupable lors du procès. Le monde intellectuel court à sa rescousse avec force pétitions, articles et courriers. Une manifestation est même organisée en plein Moscou par un groupe d’étudiants, ce qui défraie évidemment la chronique. Cela n’empêchera pas le tribunal de condamner Siniavski à une peine de 7 ans de détention dans un camp de travail.
Ne se contentant pas de nous révéler la traque organisée par le lieutenant Ivanov, l’auteur nous fait pénétrer également dans le foyer de ce fonctionnaire dévoué et respectueux de l’idéal soviétique jusqu’au bout des ongles. Cette description de l’URSS des années Khrouchtchev-Brejnev donne lieu à des scènes savoureuses telle celle se déroulant lors de l’exposition américaine en 1959 à Moscou. Mais elle fait aussi froid dans le dos quand les opposants au régime sont découverts et que les sanctions tombent.
Mêlant l’histoire de ses parents à celle de l’URSS, Iegor Gran réussit à garder la distance qui permet un compte-rendu drôlatique et plein d’anecdotes de ces années russes.


Roman

Sabine Wespieser Éditeur

Conseillé par (Libraire)
4 octobre 2021

Un roman puissant sur le racisme et la violence ordinaires aux Etats-Unis

Dès les premières lignes, Dalembert happe le lecteur avec ce récit d’ouverture à la 1ère personne du premier narrateur de ce roman qui va en compter 7.
Chacun de ceux et celles qui vont prendre tour à tour la parole pour raconter ce qu’ils connaissaient d’Emmett, gamin noir grandi dans le quartier de Franklin Heights à Milwaukee, va compléter le portrait plein d’humanité de l’un des leurs, assassiné par la police lors d’un contrôle de papiers. Tel un choeur antique, ces proches vont nous faire découvrir l’enfant, l’adolescent et l’homme, et à travers ce récit choral puissant, c’est le déterminisme social et le racisme qui vont s’imposer en personnages principaux.
Structuré en 3 grandes parties, le roman déroule la vie de ce garçon qui aurait dû, au vu de ses talents, accéder au cercle fermé des joueurs de football professionnels. L’enchaînement des faits va prouver que, quoiqu’il ait pu faire pour y arriver, un rien l’aura jeté à terre, lui faisant redescendre brutalement les échelons gravis un à un pour sortir du ghetto.
Ce « blues » évoque non seulement la vie et la mort d’un garçon américain mais également le contexte dans lequel il grandit et la vie quotidienne dans un quartier noir. Quelles perspectives s’offrent aux gamins qui naissent là ? La vente de drogue en est une. La mère d’ Emmett le sait parfaitement et va tout faire pour éviter que son fils tombe dans le piège de l’argent facile. Femme admirable de par sa ténacité et sa droiture, elle va encourager Emmett à réaliser ses rêves.
La troisième partie, différente car se passant après sa mort, met en scène la mobilisation autour du slogan « Black Lives Matter », né en 2013. Dalembert s’est inspiré de la mort de George Floyd – survenue en mai 2020- et c’est aussi un hommage qu’il lui rend à travers ce texte.
Le prénom d’Emmett renvoie à une autre figure du réel, celle du jeune Emmett Till, lynché à mort soixante-cinq ans plus tôt, préfiguration de ce que subira le personnage de « Milwaukee Blues », et constat amer de la persistance de la violence systémique des policiers blancs envers les Noirs aux Etats-Unis.


Éditions de L'Olivier

Conseillé par (Libraire)
24 septembre 2021

Un premier roman bluffant !

"Blizzard" de Marie Vingtras aux éditions de l'Olivier: un coup de ❤ du Moulin des Lettres pour un 1er roman court et percutant.
De nombreux éléments font de ce roman un proche parent de ceux écrits par les Américains : une histoire qui s'ancre dans une nature grandiose mais rude, des personnages aux parcours cabossés et à la recherche d'une rédemption impossible, une écriture rythmée et sans apprêt. C'est tout cela que recèle ce "Blizzard" que j'ai ouvert sans idée précise de ce que j'allais y trouver mais que je n'ai refermé qu'une fois la dernière page terminée, bien secouée.
Les personnages qu'on y découvre sont tous masculins exceptée Bess, une jeune femme par qui le drame arrive. Se trouvant dehors alors que le blizzard s'est mis à souffler sur le coin paumé de l'Alaska où se déroule toute l'histoire, Bess a perdu de vue l'enfant qui l'accompagnait et dont elle avait la charge. La disparition du petit Thomas va créer un branle-bas de combat et deux hommes du hameau vont partir à la recherche de l'enfant. Ce temps de la recherche va devenir peu à peu le temps de l'introspection et les habitants de ce minuscule village - 5 au total - vont prendre la parole tour à tour laissant peu à peu se dessiner une tragédie chorale.
La construction du roman est particulièrement habile, mécanique astucieuse qui prend le lecteur au piège dès les premières pages ...


24,00
Conseillé par (Libraire)
3 septembre 2021

Gros coup de coeur pour ce nouveau roman admirable de Del Arbol sur les enfants soldats .

Victor Del Arbol est un auteur que nous adorons à la librairie et une fois encore il nous séduit totalement avec ce nouveau roman. L'auteur catalan campe toujours magnifiquement ses personnages dans des reconstitutions virtuoses de l’Histoire d’un pays et son dernier roman en atteste.
Isaïe naît et grandit dans un village de l’Ouganda alors que le pays est déstabilisé par des rebelles qui kidnappent les enfants, les conditionnent et enfin les arment. Réfugié à Barcelone, échappé de l'enfer, il va devoir pourtant se confronter à ce passé qu’il voulait oublier à tout prix.
Le souffle puissant de la narration et l’alternance dynamique des chapitres entre récit de l’enfance d’Isaïe et récit de sa vie en Espagne en font un roman incontournable de cette rentrée littéraire 2021 !
Une mention à son traducteur, Claude Bleton !


11,20
Conseillé par (Libraire)
22 août 2021

S'il est un auteur qu'il ne faut pas rater dans le domaine du polar et du roman noir, c'est bien James Lee Burke. C'est pourtant ce que j'avais fait jusqu'à cet été... Bien m'en a pris d'embarquer NEW IBERIA BLUES dans mon sac de voyage car Burke fait partie depuis de mon panthéon personnel d'auteurs cultes (auteur déjà culte pour des milliers de lecteurs français par ailleurs...).
James Lee Burke, texan de Houston pas né de la dernière pluie puisqu'il est de 36, a vécu longtemps entre le Montana et la Louisiane où il a fait ses études.
Il a créé divers personnages dont les aventures se sont poursuivies au sein de séries qu'il leur a dédiées mais aussi des nouvelles et des romans qui n'en font pas partie. Au total, un ensemble conséquent de 82 titres (voir son site personnel pour l'intégralité de son oeuvre: https://www.jamesleeburke.com/ ).
Une pléthore de Prix littéraires divers et variés ont accompagné la sortie de ses romans.
La série autour du shérif-adjoint Dave Robicheaux compte 22 titres et c'est de l'avant-dernier dont je vous parle (publié en 2019 en France par les Éditions Rivages comme toute son oeuvre, et paru en poche cet été, traduit par Christophe Mercier).
Dave a vieilli tout au long de ces années et il est devenu shérif-adjoint dans la ville de New Iberia en Louisiane. Il est veuf de trois épouses successives et a une fille, Alafair, qui vit avec lui et est un personnage à part entière dans "New Iberia Blues".
Dave est un sacré bonhomme qui se débat avec le fantôme de ses trois femmes et qui combat encore l'alcoolisme au jour le jour, séquelle de son retour de la guerre au Vietnam qui l'a marqué à vie.
L'enquête débute avec la découverte du cadavre d'une femme clouée sur une croix. Elle est la 1ère d'une série de meurtres qui semblent tous avoir un lien avec la symbolique du jeu de tarot ; Robicheaux est persuadé qu'un réalisateur hollywoodien revenu dans sa région natale est mêlé à ces meurtres.
Si l'enchaînement de l'enquête reste classique dans son déroulement narratif (découverte, accumulation, impasse, complications, résolution), le style de Burke et le récit de Robicheaux font que l'on s'attache tout de suite à ce shérif aux valeurs humanistes évidentes et à ses proches, sa fille, son vieux camarade Clete Purcel, les femmes qu'il côtoie... Hanté par son passé, Robicheaux n'est pas un homme des plus faciles, il a vécu des traumatismes qui lui mènent la vie rude et se traduisent notamment par des cauchemars récurrents . Il côtoie la dépression depuis de longues années mais continue malgré tout à s'accrocher à la vie. Sa région, la Louisiane - côté pays cajun- , ses amitiés et son boulot font partie de ce qui le constitue. Il aborde la vie sans illusions mais reste convaincu par la nécessité de son travail de policier; les considérations qu'il fait sur la vie, le passé, le présent, son boulot créent aussi une texture épaisse qui permettent de mieux appréhender ce très beau personnage.
La Louisiane, le bayou et sa nature exubérante forment un personnage indissociable du personnage du shérif. Les descriptions de cet environnement vous transportent dans cette région unique en soi des Etats-Unis et c'est aussi cela qui fait le charme de ce roman envoûtant.