La demoiselle et le troubadour
EAN13
9782700235319
ISBN
978-2-7002-3531-9
Éditeur
Rageot
Date de publication
Collection
Rageot roman (178)
Nombre de pages
152
Dimensions
18 x 12,5 cm
Poids
180 g
Langue
français
Code dewey
804
Fiches UNIMARC
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La demoiselle et le troubadour

De

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Rageot

Rageot roman

Indisponible
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SOMMAIRE

CLÉ DE SOL

SOUPIR

REPRISE

A LA CLAIRE FONTAINE

LES GAMMES

CHANSONS D'AMOUR

OUVERTURE

DÉSACCORD

PREMIER MOUVEMENT

ALLEGRO

LE TROUBADOUR

RÉPÉTITION

DUO

LEÇON DE CHANT

DISSONANCE

RITOURNELLE

MARCHE NUPTIALE

SONATE AU CLAIR DE LUNE

SYMPHONIE INACHEVÉE

LEXIQUE

LES CHANSONS

Les chansons des pages 27, 47, 65, 87 et 109 sont extraites
de L' Heure de musique de Marcel Corneloup

© Éditions Van de Velde - 27, boulevard Beaumarchais

75004 Paris.
Reproduit avec l'autorisation de l'Éditeur.

978-2-700-23531-9

© RAGEOT-ÉDITEUR – PARIS, 2009.
Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays.
Loi n° 49-956 du 16-07-1949 sur les publications destinées à la jeunesse.

Je remercie Brigitte Coppin,
historienne, écrivaine,
pour ses coups de pouce d'ordre historique
et Serge Noirat,
pianiste, professeur de musique,
pour sa participation d'ordre musical.

Clé de sol

Le soleil léchait les tours et les créneaux du château de Crussol mais l'ombre teintait déjà de gris le village lorsque Jeanne, le corps englué de fatigue par la journée de travail dans les champs, arriva devant la chaumière. Elle s'arrêta, surprise. Un homme était assis sur le seuil, la tête dans ses avant-bras appuyés sur ses genoux, profondément endormi. À son approche il se redressa, s'ébroua, sortant du sommeil avec peine.

– Oncle Martin ? s'étonna Jeanne en reconnaissant le frère de sa mère.

L'inquiétude l'assaillit aussitôt. On voyait peu Martin qui demeurait à La Villette, l'agglomération sise en les murs mêmes du château de Crussol. Il avait tôt quitté le village de Sainte-Eulalie pour apprendre le travail du fer et sa vie s'était déroulée à La Villette où il avait pris femme et était devenu forgeron à son tour à la mort de son maître.

– Que se passe-t-il ? demanda Jeanne, sitôt le visiteur entré.

Il eut un haussement d'épaules, un geste las, soupira longuement. Il dit très vite, d'une voix rocailleuse :

– Ta tante Justine ne se remet pas... L'enfant qu'elle a mis au monde la tue jour après jour.

– Tu as fait venir la guérisseuse ? demanda Perrine qui venait d'entrer et avait entendu les paroles de son frère.

– Bien sûr, mais les simples cueillis à la pleine lune sont sans effet.

– Tu es allé prier saint Estève ?

– Nous y sommes tous allés, le saint n'a pas eu pitié de nous. Justine sur sa couche n'est plus qu'une ombre. J'ai vergogne à te demander ton aide, ma sœur, mais vois-tu, seul avec...

– Tu as bien fait de venir, coupa Perrine. Qui t'aidera si je ne le fais ? Ne sommes-nous pas de la même famille ? Jeanne va partir avec toi. Elle s'occupera de tes petits.

– Blaise ne sera pas content. Avec les gros travaux des champs, vous aurez besoin de bras.

– Lucas et Étienne feront leur part, et moi je suis encore solide !

– J'ai attendu autant qu'il était possible...

– Tu as bien trop attendu, soupira Perrine.

Puis, se tournant vers sa fille :

– Jeanne, tu as entendu la requête de ton oncle, prépare ton baluchon...

– Il est presque prêt, répondit Jeanne.

Elle achevait de nouer les quatre coins d'une pièce d'étoffe dans laquelle elle avait mis une cotte1 et un surcot1, deux chemises, une paire de chausses1, deux rubans, un morceau de savon, un petit peigne de corne. Tous ses biens.

– Si tu es prête, partons sans tarder, dit Martin à sa nièce. J'ai laissé ma forge à la garde de Jacquot et les trois petits seuls auprès de leur mère.

– Je suis prête, dit Jeanne.

Elle avait enfilé son chaperon1 et tenait à bout de bras son baluchon. Elle franchit le seuil derrière son oncle, s'arrêta pour embrasser sa mère, le cœur brusquement étreint de peur et de peine.

Elle n'avait jamais quitté cette demeure sans douceur ni richesse mais qui était son foyer. Elle partait sans avoir revu son père ni ses frères et pour un temps indéterminé. Sa tante était malade, il était de son devoir de fille de la famille de la remplacer pour tenir la maison de son oncle et s'occuper de ses cousins. Mais combien de temps ? Et que se passerait-il si...

Elle n'osait aller au bout de la pensée qui la taraudait.e9782700235319_i0002.jpg

Elle devrait peut-être demeurer de longs mois à La Villette, loin des siens, loin de ce village de Sainte-Eulalie et de ses habitants dont la plupart lui étaient famille. Loin de son amie Margot, née quelques jours avant elle, avec qui elle avait partagé des jeux, des rondes, des secrets, dans ces instants dérobés aux tâches quotidiennes qui pesaient lourd sur leurs épaules de fillettes.

Où était Margot à l'heure de son départ ?

Occupée sans doute à cuire la soupe ou à traire les bêtes.

Elle murmura :

– Je n'ai pas dit au revoir au père...

– Je le ferai pour toi, dit Perrine.

– Étienne et Lucas aussi, ajouta Jeanne.

– Bien sûr, n'aie crainte... Et je dirai à Margot que tu es partie avec ton oncle sans avoir eu le temps de la prévenir.

Jeanne leva sur sa mère un regard reconnaissant. En cet instant de déchirement, elle était heureuse de se savoir devinée. Sans paroles.

Sa mère lui manquerait lorsqu'elle serait là-haut, à La Villette.

Sa mère...

Une boule de détresse obstrua brutalement la gorge de Jeanne. Elle déglutit avec peine.

– Va, ma fille, va, chuchota Perrine en lui effleurant l'épaule d'une caresse légère, ton oncle t'attend.

Et elle entra dans la cabane, repoussant derrière elle le battant afin d'aider Jeanne à partir. Afin de lui épargner la tentation de se retourner pour un dernier regard et un dernier adieu.e9782700235319_i0003.jpg

Martin s'était déjà mis en route. Jeanne courut pour le rattraper, accorda son pas au sien. Quelques instants plus tard, elle avait quitté le village dont on n'apercevait plus, dans le crépuscule, que la masse confuse des habitations serrées autour de l'église familière comme troupeau auprès du berger.

Jeanne porta son regard sur la crête de Crussol, sur la masse imposante du château dessinée à contre-ciel. Plus bas, blottie dans le coude protecteur des remparts, c'était La Villette où elle était venue de rares fois.

La Villette, avec son bruit, ses allées et venues, les échoppes de ses artisans, ses soldats à cheval.

Un monde étranger, effrayant.

Fascinant aussi, peut-être ?

Soupir

Quand Martin et sa nièce arrivèrent en vue de la première enceinte du château, la nuit était depuis longtemps épaisse. Elle les avait accompagnés tout au long du chemin qui montait en étroits lacets et butait à présent contre la haute muraille.

Jeanne leva la tête vers la dentelle des créneaux, se sentit insignifiante et fragile. Ils se présentèrent à la poterne où veillait un homme d'armes qui s'avança, la lance à la main.

– C'est moi, Martin le forgeron, dit aussitôt Martin.

– Et celle-là ?

– Ma nièce.

L'homme se saisit de la torche passée dans un anneau fixé au mur, l'approcha de Jeanne qui recula instinctivement.

– Jolie pucelle, dit-il. Tu ne vas pas t'ennuyer, Martin le forgeron !

– La femme est malade, j'ai quatre petits à la maison, ma nièce vient aider ! gronda Martin.

L'homme rit grassement.

– Bien sûr qu'elle va t'aider, dit-il, j'en doute pas. Faut pas te fâcher, Martin le forgeron !

Il remit le flambeau dans la torchère, s'écarta pour laisser le passage.

Au moment où ils franchissaient la poterne, il ajouta encore :

– Pour un peu, vous dormiez dehors. Il était plus que temps de revenir, on va fermer les portes !1

Les mots suivis d'un astérisque (*) sont expliqués dans le lexique pp.154-155.
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