La vallée aux merveilles

Sylvie Deshors

Le Rouergue

  • 12 juin 2020

    Ce livre avait retenu mon attention sur la table des libraires en début d’année. Attirée par l’illustration de première de couverture d’Edmond Baudouin où quelques humains semblent égarés dans la nature. Le synopsis confirmait ma première impression : un texte sur les migrants et les aidants. J’ai beaucoup lu sur la question migratoire au point où je deviens frileuse du livre en plus, du livre de trop.
    Et puis en cherchant davantage, j’ai vu le nom de Sylvie Gracia, ancienne directrice de collection doado au Rouergue, et tous ces noms-là, associés, ont entériné mes craintes.
    Le roman s’ouvre sur un échange de mails entre deux sœurs que tout oppose. L’une demande à l’autre de recevoir sa fille, Jeanne, quelques jours. Le temps de panser une blessure de cœur. A Saorge, un petit village perdu dans les hauteurs de la vallée de la Roya, à la frontière italienne. On imagine très tôt les confidences de Jeanne à sa tante, surnommée Miette. On présuppose une compréhension plus grande qu’elle n’a pu jusqu’alors trouver au sein de sa famille étriquée. Mais la bienveillance ne peut s’opérer chez la tante trop affairée. Quand on est aidant, le temps manque. Miette s’occupe de venir en aide aux migrants qui franchissent la montagne en sandalettes en plastique. Alors, oui... j’ai craint un nouveau livre sur la même problématique, essentielle certes, de mise en lumière de l’exil. Mais Sylvie Deshors va plus loin, on sent que ses personnages n’ont pas juste des viscères en papier. Ils sont de chair et de mots, sans langue de bois. La spontanéité de Jeanne apporte un éclairage singulier. « Qu’est-ce que j’en ai à faire des formalités administratives concernant les migrants ? Je perds le fil. Il y a seulement trois jours, je ne connaissais rien à ce problème. On n’en débattait pas autour de moi. »
    La richesse du livre repose sur cette prise de conscience de la jeune adolescente sur des problématiques citoyennes et politiques. « Créer c’est s’engager ».
    Jeanne souligne les failles des aidants, et sous sa naïveté se révèlent des propos très constructifs sur la question migratoire, nourris d’échanges. Tout en lisant, je voyais les mains entremêlées, celle qui s’entraident et se soutiennent, vraiment. Pas le grand bal médiatique ou virtuel , hypocrite, de ralliement soudain à une cause. On dénonce l’idéalisme mais la fraternité l’emporte. Les personnages sont à fleur de peau et j’apprécie la façon singulière que possède l’autrice pour montrer les faiblesses des aidants, leurs maladresses aussi. En creux, Jeanne apprend à affronter les autres. Les histoires des hommes et des femmes venus d’ailleurs sont la source de sa résilience. Ce roman permet de conjuguer les écueils de l’adolescence, imbibée de porno et d’amour éphémère et illusoire à la question de l’humiliation. C’est un livre d’aveux. Ensuite, « légalité ou illégalité...l’important c’est d’agir avec son cœur. »La solidarité ne peut être définie par aucune loi, c’est l’arme du cœur et d’aucun dogmatisme.

    Il n’y a pas de happy end dans ce livre, car il ressemble à la vie.