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    3 juin 2012

    Ici, pas de jolis pastoureaux ou de gentilles bergères. Chez Gaston Chérau, les moutons sont malpropres et faméliques et l’on se dispute les fermes brique par brique.

    Voici quelques-unes des nouvelles de ce savoureux recueil.
    Le monstre – Massé engrosse toutes les servantes qui passent dans sa ferme. Jusqu’au jour où c’est sa fille Hortense qui remplace les servantes. La pauvre enfant connaît le même sort et de cette immonde union naît un fils. Une fille-mère, ce n’est jamais surprenant dans la région, mais pour celle-ci, tout est différent, à la fois atroce et honteux. « Cette fois, on frissonnait comme au récit d’un conte de méchantes fées. » (p. 42) L’enfant grandit en ayant pleinement conscience de son statut de maudit : sa famille et le village ne voient en lui que le fils de son grand-père. Le garçon est solitaire, mais il n’est pas faible. « Il possédait cette puissance des réprouvés dont on redoute les mauvais sorts et les caresses plus que les violences. » (p. 56)
    Les vieilles – Constance et Adeline sont deux vieilles qui ont marié ensemble leurs enfants. La première espère mourir dans sa ferme, mais voilà qu’Adeline s’installe et que tout change. Brusquement, Constance est envoyée et oubliée à l’hospice. « Comme elle souhaitait la mort de cette Adeline, qui avait pris sa place à sa table, à son foyer, dans sa maison, chez elle. » (p. 97) Pour retrouver sa place à la ferme, la vieille sera finaude. Pour y rester jusqu’au bout, elle se montrera terriblement retorse.
    Les frères – Pierre et Firmin Dorigny ont hérité de la ferme familiale et chacun aimerait être seul maître de la propriété. « Les deux frères avaient le même mouvement en avant, un mouvement de meurtre. » (p. 142) Violents et haineux, Pierre et Firmin traquent la faiblesse en l’autre.
    Fifi l’Esguarrat – « En bon fermier, il savait bien que c’est d’être jolies qui perd les bergères. » (p. 195) Une vilaine bergère tombe amoureuse d’un vilain musicien. Ces deux-là auraient tout pour être heureux. Mais on se moque toujours des vilaines figures et les amoureux l’apprendront à leurs dépens.
    Loin de l’image d’Épinal de la riante campagne française, Gaston Chérau brosse des portraits qui évoquent les farandoles hideuses de Brueghel. Le patois alourdit la phrase, la rend traînante et la teinte d’un vernis crasseux. J’ai retrouvé certains thèmes chers à Claude Seignolle, mais les victimes sont ici mieux armées que leur bourreau. Il faut se méfier de l’eau qui dort et du miroir lisse du purin. Dans la campagne de Gaston Chérau, il n’y a que des monstres. Allez donc conter fleurette ailleurs si vous n’aimez pas vous salir les yeux. Pour ma part, je me suis délectée du sadisme et de la cruauté brute de ces personnages.