Signé Mata Hari
EAN13
9782810003501
ISBN
978-2-8100-0350-1
Éditeur
Editions Toucan
Date de publication
Collection
TOUC.BEAU LIVRE
Nombre de pages
320
Dimensions
22,5 x 14 cm
Poids
422 g
Langue
français
Langue d'origine
anglais
Code dewey
849
Fiches UNIMARC
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© 2007 by Yannick Murphy

Publié pour la première fois par Little, Brown and Company
sous le titre Signed, Mata Hari

eISBN 978-2-8100-0546-8

Tirage n° 1

© Éditions du Toucan / TF1 Entreprises, pour la traduction française

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À Non et Norman

Ameland

J'ai trompé la mort. J'ai traversé la mer. À marée basse, j'ai franchi les bancs de sable plissés de mes petits pieds nus. Un jour j'ai fait l'école buissonnière et j'ai marché jusqu'à une île appelée Ameland, près de chez moi. J'avais entendu des histoires, tous les enfants des Pays-Bas connaissaient ces histoires, des histoires de vase pareille à des sables mouvants et d'eau pareille à un grand mur gris à marée montante, capable de vous attraper et de vous renverser, de se déverser dans votre bouche et de vous noyer si bien que l'on ne pouvait plus jamais revenir, quel que soit l'acharnement que l'on mettait à s'extirper de la vase pareille à des sables mouvants et à escalader le grand mur gris. Mais moi, je suis revenue. Je suis retournée chez les sœurs, qui avaient fait sonner les cloches en se demandant où j'étais. Quand elles m'ont trouvée elles m'ont fait voir leurs paumes, rougies d'avoir tant tiré sur les cordes, puis elles m'ont menée chez la directrice pour y recevoir ma punition. En chemin vers ses appartements, j'ai murmuré fièrement dans les plis noirs de leurs robes : J'ai traversé la mer. Plus tard, quand les sœurs se sont agenouillées pour la messe mes murmures se sont échappés, libérés comme un souffle d'air froid longtemps enfermé dans une cave et venu se mêler à leurs prières.

Je savais que mon excursion à marée basse jusqu'à l'île d'Ameland resterait à jamais en moi. Je la répéterais des années plus tard, encore et encore, au lit avec des hommes ronflant à mon côté, un bras épais en travers de ma poitrine. Dans la chaleur humide des jungles de Java, j'ai foulé le sable mouillé d'Ameland et parfois je n'ai pas senti le parfum des lotus qui poussaient à ma fenêtre, mais celui des embruns froids et salés de mon pays natal. C'est à la prison Saint-Lazare, où chacune des pierres du sol de ma cellule m'offrait un voyage sur le sable noirci, que j'ai le plus souvent effectué ma traversée vers Ameland. Sur le chemin du retour, je faisais volte-face et je regardais la mer avancer. Essaie de m'attraper, lançais-je à voix haute, et c'était le ciel qui me répondait, d'abord dans un grondement sourd, puis plus fort à mesure que le tonnerre se rapprochait. Mais elle ne m'attrapait jamais, je courais plus vite que la marée et je vivais.

D'abord la farine, a dit maman dans la cuisine. Ensuite les œufs. Les mains couvertes de farine, qui s'élevait en petits nuages le long de ses bras, elle commençait déjà à devenir fantôme.

Le gâteau qu'elle préparait était pour mon anniversaire. Mon père a dit que dans un pays appelé Mexique, on estampait sur le gâteau le visage de l'enfant dont c'était l'anniversaire. Pour lui porter chance et qu'il ait la vie longue.

Pas ici, a répliqué ma mère en repoussant le gâteau loin de moi pour m'empêcher d'enfoncer la tête dans son glaçage, étalé à la cuiller de sorte qu'il formait de petites vagues recourbées, la crête suspendue en une légère houle.

Papa a repris: L'année prochaine, Margaretha, pour tes quinze ans, tu pourras le faire.

Pour mon anniversaire j'ai eu des cours d'équitation hebdomadaires.

Après chaque leçon, j'allais retrouver mon père au magasin. Un jour il m'a montré un chapeau.

Touche, a-t-il dit. Il a frotté le doux feutre contre ma joue. Pense à l'animal qui est mort pour que ce chapeau puisse être fabriqué avec son pelage.

J'ai repoussé le chapeau. Je voulais penser à tous les hommes qui le porteraient et à toutes les soirées auxquelles ils se rendraient avec.

Papa l'a mis dans la vitrine pour l'exposer, mais je savais qu'une heure plus tard il l'en ôterait pour le remplacer par un autre pris sur une étagère à l'intérieur de l'échoppe. Ainsi, il empêchait les couleurs de se ternir au soleil.

Papa n'était pas là pour mon anniversaire l'année suivante. Il avait fermé boutique. Il avait entassé tous les chapeaux et les avait bradés. Les billets à la main, il s'était léché les doigts pour compter sans se tromper. J'étais assise dans la devanture. Le soleil cognait à travers la vitrine et je savais à quelle vitesse un chapeau pouvait s'affadir et perdre sa couleur, je trouvais ça drôle parce que tout le monde m'avait toujours dit d'éviter le soleil, qu'il rendrait ma peau mate plus foncée encore.

Après son départ, il n'est plus resté de lui qu'un gilet à fleurs qu'il avait jadis porté, accroché dans la penderie. Le gilet était élargi à la taille, là où sa panse avait distendu l'étoffe. Maman n'a jamais rien mis d'autre dans la penderie et si j'ouvrais brusquement la porte le courant d'air faisait osciller le gilet fleuri sur son cintre en bois.

Il ne nous a pas laissé d'adresse. Il est parti en disant qu'il reviendrait nous chercher lorsqu'il aurait trouvé un travail dans le Sud.

Maman pleurait le soir. Il y avait des trous dans les murs, de larges surfaces où la peinture s'écaillait et où le plâtre s'effritait. Je pensais que ses sanglots allaient s'insinuer dans les interstices pour rester dans la maison à jamais, pris au piège, ricochant dans nos murs. J'essayais de couvrir ces cris en martelant des mélodies au piano, mais cela ne faisait qu'écailler la peinture davantage, désagréger le plâtre qui s'amoncelait au sol en petits tas blancs pareils à ceux d'un sablier, figurant des heures que nul ne pouvait inverser.

J'ai trouvé maman morte dans la cuisine. Elle avait de la farine blanche sur son tablier. Sur ses bras. Entre les lacets de ses bottines. Dans sa bouche. Le docteur a dit qu'elle était morte d'une infection pulmonaire. Moi, j'ai pensé qu'elle était morte d'avoir inhalé tant de farine. La farine l'avait transformée en fantôme par l'intérieur. Je ne suis jamais retournée dans cette cuisine. La cuisine peut te tuer, me suis-je dit. J'ai fermé les yeux : je traversais la mer. Chaque fois, je m'y sentais plus présente dans mon souvenir que lors de ma première excursion. Je remarquais davantage de choses. Les crabes blancs qui fouissaient à côté de moi. L'eau qui montait, les bulles qui jaillissaient sous mes pieds, comblaient l'espace entre mes orteils, s'insinuaient jusqu'à l'ourlet de ma jupe en soie.

Qu'ils entendent

Elle pensait que la sœur de la prison Saint-Lazare retenait ses murmures dans ses robes, elle aussi. Elle s'agenouilla et sentit le crucifix d'argent suspendu à la taille de la religieuse, contact froid contre sa joue tandis qu'elle prononçait les mêmes mots que dans son enfance : J'ai traversé la mer.

Priez-vous pour votre âme ? demanda la sœur.

Non, répondit-elle. Elle voulait que ses mots s'échappent dans toute la prison quand la religieuse s'en irait. Que les rats les entendent, qui courent entre les murs sombres et humides. Que les cuisiniers les entendent, qui éclaircissent la soupe en cuisine. Que Boucheron le magistrat les entende, qui tapote sa plume sur son bloc-notes en réfléchissant aux questions à lui poser pour la piéger dans une vie qu'elle n'a pas menée. J'ai traversé la mer, dit-elle. Je vivrai.

Vers de terre

Le problème avec les enfants c'est que je ne les comprenais jamais. Ils devaient répéter une ou deux fois avant que je saisisse ce qu'ils disaient. Ils devaient montrer du doigt. Plus fort, leur demandais-je. Tout cela parce que leur bouche était si petite qu'ils ne pouvaient l'ouvrir assez grand pour articuler des mots qui me soient intelligibles. Je l'ai dit à mon parrain mais il a répondu que leurs joues sont comme des pommes et leurs cheveux des rayons de soleil et que de toute façon, je n'avais pas le choix, il n'avait pas les moyens de me nourrir et de m'habiller. Alors ...
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