LA PETITE FILLE QUI DANSAIT DANS SA TETE
EAN13
9782809802498
ISBN
978-2-8098-0249-8
Éditeur
Archipel
Date de publication
Collection
RECITS, TEMOIGN
Nombre de pages
240
Dimensions
10 x 10 x 2 cm
Poids
326 g
Langue
français
Code dewey
305.896
Fiches UNIMARC
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La Petite Fille Qui Dansait Dans Sa Tete

De

Archipel

Recits, Temoign

Indisponible

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ISBN 978-2-8098-0249-8

Copyright © L'Archipel, 2010.

Sommaire

Page de titre
Page de Copyright
Dédicace
Préface
Prologue
1 - À Pinus-Ville

À Richard, mon époux

À mes deux familles, nigériane et française

À tous les enfants en quête d'identité

Préface

Je suis lié à l'histoire de Regina. À l'histoire de sa vie, à sa quête d'identité et de vérité : une histoire bouleversante, un témoignage poignant. J'ai peut-être participé à sa survie, à son sauvetage, à ce qu'elle est devenue aujourd'hui et, si c'est le cas, j'en suis fier.

Un matin de mars 2004, j'ai reçu un courrier qui m'a projeté d'un coup plus de trente-cinq ans en arrière. Une jeune femme voulait me rencontrer, me parler de son enfance. Elle était née au Biafra, était passée par les camps, peut-être par celui où j'étais en mission. Elle voulait mettre bout à bout le puzzle de sa vie, reconstruire son histoire. Je lui donnai rendez-vous, sachant qu'en la voyant ce ne serait pas seulement Regina que je rencontrerais, pas seulement un de ces enfants que j'avais soignés, consolés, aimés, mais tous ces enfants à la fois.

Le Biafra m'a marqué à vie. C'est pour moi le début de mes colères. C'est aussi le début de mon engagement, de mon histoire avec l'Afrique. C'est là qu'est née l'idée de ce que doit être l'humanitaire, c'est là que j'ai compris l'obligation du droit d'ingérence. Le Biafra a nourri, plus tard, mes combats au Rwanda ou à Sarajevo.

À l'époque, j'étais enthousiaste, exalté, enflammé. Je le suis toujours, je crois, mais j'avais la jeunesse en plus. Et puis, j'étais médecin. J'avais fait le serment de soigner, d'aider les plus faibles. Je suis parti sans réfléchir. On m'a traité d'opportuniste, de tête brûlée, de rebelle. Je voulais simplement ne pas avoir à me reprocher, un jour, d'avoir laissé mourir des enfants victimes de la guerre et de la lâcheté des hommes. Je voulais agir, faute de n'avoir pu le faire plus tôt. Je ne voulais plus être complice.

Là-bas, j'ai été confronté à une médecine que je ne connaissais pas, la médecine de guerre. Je soignais des enfants, les laissais repartir avec leur famille et ils me revenaient une semaine plus tard pour mourir dans mes bras. Là-bas, si j'ai perdu de ma candeur, j'ai gagné en force et en humanité.

Rencontrer Regina m'a conforté dans l'idée qu'aucun combat n'est perdu d'avance, que la vie est plus forte que tout. Si, un jour, je l'ai tenue bébé dans mes bras, si je l'ai soignée, apaisée, réconfortée, si je lui ai murmuré des paroles aimantes, si j'ai pu l'aider à devenir la femme qu'elle est aujourd'hui, si je n'ai pu sauver qu'elle parmi les milliers d'enfants qui m'ont été confiés, alors, ma mission au Biafra n'aura pas été vaine.

Bernard KOUCHNER

Prologue

Je me réveille lentement dans une chambre que je ne reconnais pas. Toute blanche. J'ai mal et envie de vomir. J'essaie de bouger, mais un tuyau relie mon bras à un grand flacon dont l'eau s'écoule avec le même son que la pluie cognant sur les carreaux. Et puis je me souviens : la douleur, l'ambulance, la sirène...

À l'Institut, on ne m'a pas crue lorsque je me suis plainte du ventre. Les religieuses ne me prennent jamais au sérieux. L'une m'a même soupçonnée de me plier en deux pour éviter la classe. Elle m'a houspillée :

— Allez Mary, redresse-toi, tu as simplement l'âge d'avoir mal au ventre, tu seras bientôt une jeune fille. Il faut te lever et ne me raconte pas d'histoires.

Une jeune infirmière s'approche en silence, tapote mes oreillers et, d'une voix douce, me glisse à l'oreille :

— Ma petite, tu l'as échappé belle, ton appendicite a failli mal tourner.

Je me sens tellement mal que ses mots s'envolent avant même que j'en comprenne le sens. Puis elle ajoute :

— Ta tante Alice doit passer cet après-midi. Elle a une bonne nouvelle à t'annoncer.

Une bonne nouvelle, ça m'étonnerait ! Depuis des mois, j'attends des nouvelles, bonnes ou mauvaises, ou tout au moins des réponses à mes questions. Et devant le silence qui m'entoure, je me suis fermée, emmurée dans mes attentes et mes angoisses. Des mois à souffrir, mes jambes se couturant davantage à chaque opération, des mois à me taire puisqu'on ne répond pas à ce qui hante mes douze ans : qui suis-je vraiment ? Je ne le sais pas, et je ne sais pas non plus si, un jour, je me sentirai assez solide et légère pour virevolter et danser comme je le fais dans mes rêves.

Depuis des mois, je sens, je capte qu'il se trame quelque chose autour de moi. On ne me parle plus comme avant... On s'adresse à moi comme à une grande. Et au futur. On me parle de mon avenir alors que je ne connais pas mon passé. Pour oublier ces incohérences, je me suis jetée à corps perdu dans mes devoirs et ma prochaine entrée en sixième. J'y mets toute l'énergie que je dépensais avant dans mes colères. L'énergie du désespoir, sans doute. Et cette phrase qui revient sans cesse, comme une menace, un chantage :

— Si tu passes en sixième, tu pourras partir chez toi.

Mais partir chez moi, c'est partir où ? Loin de la France, dans un pays que je ne connais plus, dans un pays qui n'existe plus, près d'une tombe si mes parents sont morts, près d'étrangers s'ils sont encore vivants. Ce seul mot de « partir » me fait trembler : il signifie quitter ce qui m'entoure, mes pauvres repères. Va-t-on de nouveau m'abandonner ?

Dans cette chambre d'hôpital, je repense à ces mois écoulés, ma souffrance, ma solitude d'enfant perdu. Pelotonnée dans mon lit, j'attends, craintive, la bonne nouvelle annoncée.

Tante Alice s'approche à pas feutrés, m'embrasse tendrement.

— Regarde, ma chérie, ce que je t'ai apporté ! Des crayons de couleur et un cahier pour faire de beaux dessins.

— C'est pas ce que je veux ! L'infirmière m'a dit que tu devais m'annoncer une nouvelle. Je veux savoir.

— Oui, Mary, c'est vrai, j'ai une grande nouvelle pour toi. Une nouvelle qui devrait t'emplir de joie. Nous avons retrouvé ta famille. Une grande famille. Et elle t'attend là-bas, chez toi, au Nigeria.

Contrairement à la réaction attendue, je m'effondre, je pleure, je crie à la trahison. Je balaie d'un geste crayons et cahier, je me débats, arrache mes draps. Pourquoi ne m'a-t-on prévenue de rien ? Pourquoi ne m'a-t-on rien dit des recherches entreprises, des courriers échangés, des espoirs qui prenaient corps ? Pourquoi m'a-t-on laissée dans l'ignorance alors qu'il s'agissait de ma vie ? Que vais-je devenir ? Mon pays, c'est ici ! Ma famille française, la seule que je connaisse, va-t-elle me laisser partir pour cet inconnu lointain ?

1

À Pinus-Ville

Au-dessus de mon lit, une simple phrase, imprimée sur un batik : « Nous mourrons sans une larme. » Ce sont les derniers mots de l'hymne du Biafra, cinq mots qui ne sont plus chantés depuis bien longtemps. Seuls peuvent s'en souvenir les rescapés de la tragédie, orphelins d'un pays qui a cessé d'exister. Cette phrase est ancrée en moi, comme un hommage à ce peuple, mon peuple, qui voulait s'affranchir de la tutelle du Nigeria, mais pour qui, face à cent vingt mille hommes en armes, la bataille était perdue d'avance. Après trente-deux mois de guerre, mon pays était à l'agonie.

Je suis née ibo, quelque part là-bas, en Afrique, un peu avant le début de la guerre. Mes parents m'ont offert la vie, mais, pendant des années, je ne connaîtrai ni la date ni le lieu exacts de ma naissance. Je ne saurai rien de ma famille.

Sans identité, mon enfance a traversé hôpitaux, camps de réfugiés et institutions. En Afrique, puis en France. Je suis orpheline et paralysée. De mes premières années de vie, mes souvenirs ne sont que des suppositions. Petit à petit, au fil des rencontres, je reconstruis mon passé... Je veux vivre et me battre pour le retrouver, et comprendre.

Enfant, je me suis souvent entendu dire que l'endroit où l'on naît importe peu, que seule compte la manière dont on...
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