🥢 C'est systématique : à chaque fois qu'elle va faire ses courses au H Mart, supermarché asiatique où l'on trouve tout ce qu'il faut pour cuisiner coréen, Michelle, États-unienne née en 1989, fond en larmes. Le moindre ingrédient, l'emballage le plus banal, chaque petit détail ressuscite un souvenir lié à sa mère, emportée par un cancer alors qu'elle n'avait pas encore soixante ans. Une mère peu démonstrative, qui témoignait son affection à sa fille unique via les plats qu'elle lui cuisinait.
🥢 En remontant le fil de ses souvenirs d'enfant turbulente, d'adolescente rebelle et de jeune adulte un peu paumée, Michelle comprend peu à peu que sa mère, immigrée coréenne aux États-Unis, considérait la cuisine comme le meilleur moyen de se rattacher au pays natal. La nourriture avait pris une importance telle que la phrase « Tu manges comme une Coréenne » était devenue le plus beau compliment qu'elle pouvait faire à sa fille.
🥢 « Pleurer au supermarché » évoque une relation compliquée, oscillant entre silences pesants et mots de trop. Si Michelle a longtemps souffert de la difficulté à se construire entre deux identités, avec une langue maternelle mal maîtrisée malgré des séjours réguliers en Corée, elle saisit en grandissant la richesse que représente cette double origine. Avec une sincérité bouleversante, elle raconte comment elle a accompagné sa mère dans la maladie et comment, après sa disparition, elle a découvert que cuisiner lui permettait de perpétuer leur lien. Un récit singulier, qui en dit long sur la difficulté de devenir adulte. Vraiment très beau !

🗺️ Une carte, c'est déjà le début du voyage... Cela, l'artiste Marine Le Breton nous le rappelle avec talent, elle qui se passionne pour les cartes marines, invitations à l'évasion par excellence. Elle s'est donc lancée dans le projet titanesque de reproduire minutieusement, patiemment, presque obsessionnellement, le tracé des côtes françaises... à la mine de stylo ! Soit 5500 km de côtes, rien qu'en métropole ! Il s'agit pour elle de réinventer l'art du dessin cartographique à la main, qui tend à disparaître avec l'omniprésence du numérique.
🗺️ Dans les 130 cartes présentées ici, on retrouve avec émotion le léger tremblé de la main humaine, mais aussi une précision bluffante, quasi scientifique, avec mention de l'échelle choisie et indication fidèle des toponymes terrestres et maritimes. Tout en bleu et noir - sauf les versions "pop" aux couleurs flashy -, chaque carte occupe l'artiste une semaine complète en moyenne. C'est dire l'ampleur du projet !
🗺️ On se surprend à suivre du doigt le tracé sinueux de telle côte que l'on arpente souvent, ou la silhouette de telle île inconnue dont le nom nous fait rêver. Quant aux mille et une virgules qui figurent l'élément liquide, elles sont tout bonnement hypnotiques ! Et pour prolonger et enrichir la rêverie, une cinquantaine de personnes ont écrit de courts textes qui racontent ou expliquent leur rapport à la cartographie.

🌎 Depuis 1498, les explorateurs se sont succédés pour tenter de cartographier le tracé de l'Orénoque, souvent bercés par le fantasme de découvrir et conquérir la mythique cité d'El Dorado.
🌎 Pour l'écrivain et artiste français Daniel Bourdon, cette exploration a également pris de nombreuses années, quoiqu'elle ait eu lieu à travers les livres exclusivement. Mais que l'on ne s'y trompe pas : une lecture en appelant dix autres, et un ouvrage en citant cent autres, il s'est retrouvé presque perdu, submergé sous l'ampleur du sujet. C'est pourtant un texte très bref, finalement, qu'il nous livre là ; une centaine de pages à peine qui, pour historiquement étayées qu'elles sont, n'en restent pas moins emplies de poésie, voire même de fantaisie.
🌎 La présentation chronologique des expéditions menées dans le bassin de l'Orénoque se double ici d'une réflexion tout à fait plaisante sur le pouvoir de la littérature en tant qu'outil de témoignage, mais aussi (et peut-être surtout) en tant que vectrice de rêves d'aventures. Alors que se brouille peu à peu la frontière entre réalité et fiction, le lecteur ou la lectrice se surprend à s'interroger sur la véracité de tous ces récits d'aventure dont regorgent les bibliothèques... et les librairies de voyage ! On progressera à travers les pages comme des conquistadors dans la jungle amazonienne : lentement, précautionneusement, et surtout armé·e·s ! Un coupe-papier suffira certes, mais sera nécessaire, les éditions Fata Morgana ayant fort judicieusement décidé d'imprimer au format non coupé cet ouvrage érudit et ludique à la fois, illustré de belles reproductions de cartes d'époques diverses.

🌳 Forêt de Białowieża, à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne : zone de frictions intenses, où l'Union européenne se terre derrière des barbelés érigés à travers bois. Nina a grandi ici, mais rêve d'ailleurs. Alma a grandi ailleurs, mais rêve d'ici. Véra, ici, est venue se terrer et trouver la quiétude que son métier de journaliste ne permet plus en Biélorussie.
🌳 Pour ces trois femmes, la vaste forêt primaire, l'une des dernières du Vieux Continent, se fait tour à tour nid protecteur et impitoyable piège, sombre repaire et lumineuse clairière, fenêtre de liberté et mur infranchissable. Sans avoir conscience de l'existence l'une de l'autre, Nina, Alma et Véra sont tendues vers le même rêve, la même aspiration : vivre et être heureuse, sans rien demander de plus à personne. Mais qui peut prétendre être maître·sse de sa destinée ?
🌳 Pour raconter ces parcours de vies meurtries, Caroline Hinault invente une langue profonde, organique, puissamment poétique, irriguée de références à la Divine Comédie. C'est splendide et terrible, engagé sans faire l'impasse sur l'intime. Pas un mot de trop dans ce roman qui, sans rien édulcorer, n'oublie pas que l'espoir, malgré tout, existe et persiste.

🏄 La jeune fille qui raconte ici vibre d'impatience à l'idée de rencontrer ses prochaines vagues. Dans un décor tropical qui n'est pas sans rappeler La Réunion, mais qui pourrait aussi être un Pays basque onirique, elle s'avance vers le rivage et observe, pleine de respect, l'eau sur laquelle elle va jouer toute la journée. Dessus, dessous, debout, à plat ventre, la jeune fille fait de sa planche de surf un trait d'union avec l'océan, dans une symbiose aux allures de danse. On ressent à la lecture de cet album tout le bonheur que réservent les surprises d'un élément plus grand que soi, que l'on cherche non pas à dompter mais à apprivoiser.
🏄 Les nuances de bleu se teintent de doré puis d'orangé au fil des heures jubilatoires passées dans l'élément liquide. Avec ses textes brefs en bord de page, Pascale Moisset laisse la part belle aux dessins acrylique sur papier fort d'Yves Viallard. La texture du papier ressemble à s'y méprendre aux grains de l'écume qui mousse et vole, pour un rendu encore plus immersif. À lire dès 5 ans, si vous voulez partager votre passion (lexique technique à l'appui en pages de garde) – ou susciter une vocation !