Gwendal O.

Récréalivres est la seule librairie spécialisée jeunesse de Sarthe. Elle est aussi Librairie-Relais de L'école des loisirs et est dotée d'un Square depuis 2012.

Nadine Robert

La Pastèque

Conseillé par (Libraire)
14 août 2013

"Cui-cui" les p'tits oiseaux

C'est toujours intérêt que nous suivons les publications des éditions québécoises de La Pastèque. "Joseph Fipps" de Nadine ROBERT et Geneviève GODBOUT est la nouveauté de la semaine.

Difficile d'emblée ne pas craquer devant la bouille de Joseph. Mises en valeur par un beau papier mat dans une belle palette pastel, les illustrations rendent avec justesse les expressions de son visage. Pastilles noires des yeux, jolies joues roses, Joseph Fipps planté dans ses bottes vertes traîne son ours en peluche avec beaucoup de talent. Mais un beau personnage peut-il suffire à porter un album entier ?

Entre sensibilité et sensiblerie, l'album hésite après quatre doubles pages parfaites qui remettent dès le début en question l'utilité du texte. Car en matière d'histoire, Joseph Fipps a peu à offrir, en tout cas rien de vraiment à la hauteur du dessin.

Joseph voudrait aller voir le nid de chardonnerets dans son arbre préféré. Il boude, s'imagine une nature fantastique et une autre mère, plus compréhensive. Rien de déshonorant mais rien de remarquable non plus sur le chemin de la réconciliation attendue. Le texte plein d'expressions mignonnes, de "flic-flac" et de "cui-cui" en viendrait presque à souligner la tentation du chromo des illustrations. La jupe plissée de la maman aurait très bien pu passer inaperçue sans cela. Il faudra finalement avoir un peu d'indulgence envers cet honorable descendant des "Martine" de Marcel MARLIER pour de ne pas être tenté de retirer avec agacement le noeud rouge à son ourson...

Conseillé par (Libraire)
14 août 2013

La voix de Marie-Aude Murail

Courant 2012 la rumeur d'un nouveau "Miss Charity" a commencé à courir dans le petit monde du livre de jeunesse. Afin de mesurer à sa juste valeur l'attente de tous les lecteurs de Marie-Aude Murail il faut rappeller à quel point Miss Charity avait marqué les esprits. Elle y revisitait avec un immense bonheur la vie de Beatrix Potter, créatrice du fameux Pierre Lapin et donnait une version éminemment personnelle du pastiche du roman victorien. Illustré par un Philippe Dumas très inspiré, "Miss Charity" est un roman d'une très grande richesse propre à toucher plusieurs générations de lecteurs. Un classique en somme. Mais là n'est pas la question.

Cette rumeur était d'autant plus crédible que l'auteur avait sorti en 2005 un "Charles Dickens" dans la discrète collection de L'école des loisirs, "Belles vies". Ce texte sous titré "Ouvrier à douze ans, célèbre à vingt-quatre" était ce qu'on appelle une biographie romancée, une déclaration d'admiration pleine d'intelligence et d'humour au grand homme des lettres britanniques. Marie-Aude Murail y veillait à restituer la voix de Dickens mêlant "sans guillemets" des expressions de l'auteur et des extraits de romans.

Quand à la place du Dickens attendu nous avons reçu à la librairie "De grandes espérances", j'ai d'abord eu le sentiment d'avoir été trompé. Une adaptation en grand format même illustrée par Philippe Dumas n'était rien en comparaison avec, c'est le cas de le dire, mes espérances. Passée la déception je me suis reporté avec curiosité à la note d'intention qui tout en rappelant le principe de la collection insiste sur la singularité du travail de notre adaptatrice de luxe. J'en avais presque oublié que j'avais déjà lu adolescent "De grandes espérances" dans la collection des Cahiers Rouges de Grasset. Je pensais n'en avoir rien gardé et c'est en tombant par hasard p114 sur le dessin de Philippe Dumas représentant le jeune Pip poussant la chaise roulante de Miss Havisham que des images du roman ont petit à petit refait surface. C'est étrange quand on y pense, tous ces romans qui peuvent rester en sommeil en vous sans que jamais rien ne vienne les réveiller. Etrange aussi comment nous continuons d'en transformer la matière première à la façon des rêves. "De grandes espérances" s'était curieusement transformé en roman fantastique sur la base du souvenir d'une vieille dame dans une robe de mariée mitée. Et quand Miss Havisham m'est réapparue dans son fauteuil avec ses yeux fous, j'ai immédiatement eu envie de revenir sur les pas de Pip dans la demeure délabrée de la vieille dame et d'y croiser à nouveau Estella.

Comme tout roman feuilleton qui se respecte "De grandes espérances" recèle son lot de secrets et d'intention cachées et c'est sous cet angle que j'aime à lire aussi le travail d'adaptation de Marie-Aude Murail. Evidemment, l'auteur de la série des "Malo, fils de voleur" paye ici son tribu à un de ses maître en tentant de le rendre plus accessible aux jeunes lecteurs d'aujourd'hui. La valeur de l'appropriation du texte de Dickens peut se mesurer alors à l'amour et au respect qu'elle lui porte. Mais il y a aussi au-delà quelque chose de très émouvant à voir Marie-Aude Murail se glisser dans cette prose comme elle endosserait un rôle. Pour ceux qui on eu la chance de la rencontrer et de la voir lire, son talent de comédienne ne fait aucun doute (comme d'ailleurs celui de Dickens dont les lectures publiques sont restées célèbres). En ce sens l'adaptation de Marie-Aude Murail est une lecture, une interprétation. Ceux qui voudront y voir en dépit de cela une trahison ou le symptôme d'un nivellement par le bas se priveront du plaisir de se voir à nouveau raconter "De grandes espérances". Ils se priveront de la voix de Marie-Aude Murail.

"Ses lecteurs. Ils sont là. Les yeux dans les yeux. Hypnotisés par lui.
- Si vous vous sentez enclin pendant la lecture à exprimer une émotion, qu'elle soit grave ou qu'elle soit gaie, faites-le sans la moindre retenue et sans crainte de me perturber."

Conseillé par (Libraire)
14 août 2013

Une légère déception

Nous avions étés séduits par les deux précédents romans parus également en "Neuf" : "La soupe de diamants" et "Un secret à la fenêtre". Mais ici si l'on reconnaît tout de suite la patte de l'auteur, ça ne fonctionne qu'avec moins de succès.

Tomas le jeune héros de l'histoire part en vacances dans un "palais" où travaille sa grand-tante comme gouvernante. Il est gourmand et grand lecteur de romans policiers. Il va se persuader que le majordome a quelque chose à cacher et qu'il est peut-être même l'assassin de l'ancien propriétaire.

Alors que dans ses précédents romans, Norma HUIDOBRO réussissaient à déplacer l'attention du lecteur de l'intrigue vers les personnages et leur univers, "Le mystère du majordome" propose un décalque de situations déjà lues. Le désir irrépressible de mystère de Tomas, la recherche de la preuve disculpante, le faire valoir d'abord snobé puis apprécié : tout évoque un "Secret à la fenêtre" accommodé à la sauce Agatha Christie mais sans convaincre. Le roman reste toutefois recommandable mais devrait décevoir les fans.

Conseillé par (Libraire)
14 août 2013

Après la formule du succès

Linda URBAN nous avait ravis il y a quelques années avec un premier roman traduit en français dans la même collection : "La formule du succès". Ce roman délicieux campait une jeune fille passionnée de musique bien décidée à participer à un concours d'orgue électronique. Il avait pu être comparé à un succès populaire du cinéma indépendant américain, "Little Miss Sunshine".

"Juré craché", traduit par caroline Guilleminot s'inscrit dans cette même veine comique douce amère. Les deux romans ont beaucoup de points communs : une enfant en quête d'identité, le portrait d'une certaine middle class américaine tentée par la marge, l'idée du pouvoir révélateur de l'Art dans sa pratique la plus triviale (l'orgue bontempi pour la musique, les "Règles d'or du nettoyage" pour l'écriture). Le roman de Linda URBAN est une réussite dans son art de camper les personnages autour de la maladivement timide Mattie (en particulier l'oncle Popote qu'on imaginerait très bien sous les traits de Paul Giamatti) et de jouer de ses silences pour faire légèrement dérailler les situations du quotidien. "Juré craché" est irrésistible et nous touche immédiatement à l'image de cette couverture particulièrement juste dessinée par Stephanie BLAKE.

Les Grandes Personnes

Conseillé par (Libraire)
14 août 2013

Les ruines de la Maison d'York

Entre les parenthèses des éditions des Grandes Personnes, la couverture des "Enfants du Roi" enserre un bombardier allemand. Le roman de Sonya HARNETT se déroule au début de la Deuxième Guerre mondiale et raconte comment Cecily et Jeremy Lockwood vont se réfugier avec leur mère chez leur oncle durant les bombardements de Londres, comment ils vont accueillir une évacuée (May Bright) dans la demeure familiale. Une amitié va naître entre les deux jeunes filles. Durant leurs escapades dans la nature elles vont découvrir les ruines d'un vieux château et ses deux habitants mystérieux...

Une remarque d'abord sur les nombreux points communs qu'entretiennent "Les Enfants du Roi" et "Miss Pérégrine et les enfants particuliers" paru aux éditions Bayard : un nom (Pérégrine que partagent l'oncle Lockwood et la directrice de l'orphelinat), un contexte historique (les bombardements allemands en Grande Bretagne), des ruines mystérieuses et des fantômes.

Le charme du roman de Sonya HARTNETT (a qui l'on doit chez le même éditeur "L'enfant du fantôme" et "L'enfant du jeudi") est assurément plus discret. S'il joue effectivement avec les mêmes archétypes du roman gothique anglo-saxon, il le fait dans un esprit moins baroque et démonstratif que chez Ransom RIGGS.

"Les Enfants du Roi" n'en est pas moins étrange et envoûtant notamment dans sa façon de lier deux époques très lointaines (le règne de Richard III évoqué à la façon d'un conte décontextualisé) et la Deuxième Guerre mondiale. Le lecteur adolescent devrait identifier rapidement (avant les personnages) ce lien en devinant l'identité des deux fantômes des ruines. Il lui sera peut-être moins aisé d'admettre que l'auteur n'est pas intéressée par entretenir ce mystère en particulier.

L'intérêt de ce beau roman mélancolique est à trouver dans son virage final ouvrant sur de nombreuses pistes de lecture alors que sa construction à priori très classique semblait l'enfermer dans l'exercice de style. Sonya HARNETT abandonne in extremis Cecily et May pour mettre en avant un personnage qu'elle avait mis en retrait : Jeremy Lockwood. Agé de ses 16 ans, sa fugue le conduit dans une capitale de Londres sous les bombardements allemands. Son récit est l'objet d'un des derniers chapitres (Le retour du héros). Ces pages sont certainement les plus étonnantes des "Enfants du Roi" et justifient à elles seules la lecture du roman. Il y raconte le sauvetage d'une famille enfermée dans une cave inondée mais aussi sa confrontation avec son père. L'auteur trouve là le point de gravité de son roman en jouant sur un habile glissement vers un fantastique d'un genre moins daté. Elle donne rétrospectivement à lire autrement à la fois les rencontres des deux fantômes et la figure fascinante du Roi.