8 kilomètres

Bruno Masi

JC Lattès

  • Conseillé par (Libraire)
    13 février 2020

    Epoustouflant !

    Huit kilomètres c’est la distance parcourue en 1995 entre deux massacres commis par un adolescent de 16 ans dans le Var. Une distance que Bruno Masi dans son ouvrage remarquable parcourt. Pour comprendre et expliquer.
    De manière passionnante, l’auteur décrypte ainsi les raisons de l’amnésie collective qui frappera cet évènement, bientôt supplanté, une semaine plus tard, par l’assassinat par les forces de l’ordre du terroriste Khaled Kelkal. Aucun voyeurisme dans l’enquête de Masi, aucune excuse. Simplement la volonté de comprendre le fonctionnement d’un adolescent différent des autres par son caractère, son affect familial.
    23 septembre 1995: Soliès-Pont une petite commune du Var proche de Toulon. Eric Borel, 16 ans, assassine son beau père, son demi frère puis sa mère dans leur maison familiale. Il leur tire à bout portant avec une 22 Long Rifle avant de s’acharner sur leurs corps. Il sort dans la nuit, marche 8 kilomètres, attend le lever du jour, demande à voir son ami Alan, le tue froidement. Il poursuit sa marche dans le village de Cuers et tue 12 autres personnes avant de se donner la mort, en se tirant une balle dans la tête. Voilà pour les faits bruts. Ce massacre est la deuxième tuerie par son importance en Europe au cours du XX ème siècle, derrière les assassinats commis par Anders Brevik à Oslo et sur l’île d’Utoya.
    Pourtant cet évènement n’a laissé que peu de souvenirs dans la mémoire collective. Pourquoi ce silence? Cet oubli? Bruno Masi, comme précédemment Yvan Jablonka avec son exceptionnel « Laëtitia » va essayer de comprendre 25 ans plus tard ce mutisme collectif et de reconstituer ce qui s’est réellement passé ce week end de fin d’été dans un village comme des milliers d’autres en France. Pendant trois ans, l'écrivain va rencontrer les intervenants de l’époque, des intervenants qui ont été oubliés par la gendarmerie, la justice, la presse et dont les paroles, si elles avaient été recueillies dans les temps nécessaires, auraient déroulé une histoire violente, brutale mais aussi compréhensible dans une logique d’un mal de vivre adolescent exacerbé. S’infiltrant dans les erreurs du passé, Bruno Masi, démonte les rouages d’une information à chaud, qui commence à devenir une info en continu. Soucieuse de sensationnalisme les rédactions parisiennes contredisent parfois leur reporter sur place privilégiant la « folie », la « démence », l’acte irrationnel. Ce mécanisme parfaitement décrit convient finalement à tout le monde, y compris aux habitants de Cuers qui hier comme aujourd’hui préfère fermer les yeux et oublier. La description d’un jeune déséquilibré pris d’un accès de folie n’ a aucune conséquence pour la société qui à cette occasion n’a pas à se regarder dans un miroir.

    De manière passionnante, l’auteur décrypte ainsi les raisons de l’amnésie collective qui frappera cet évènement, bientôt supplanté, une semaine plus tard, par l’assassinat par les forces de l’ordre du terroriste Khaled Kelkal.

    Dans la deuxième partie de l’ouvrage, et s’appuyant sur des témoignages irréfutables et concordants, le récit reconstitue la chronologie exacte des faits, expliquant ce qui a troublé dès le début l’auteur, c’est à dire ces 8 kilomètres parcourus par Eric Borel et ces 11 heures écoulées entre le meurtre de sa famille et celui de son ami Alan. Une distance et un temps écoulé qui auraient du à l’époque poser question et balayer toutes les élucubrations émises. On comprend alors le processus de la tuerie, la « logique » du tueur, la chronologie des faits. Aucun voyeurisme dans l’enquête de Masi, aucune excuse. Simplement la volonté de comprendre le fonctionnement d’un adolescent différent des autres par son caractère, son affect familial.
    « 8 kilomètres » n’est pas un pamphlet ou une charge contre les médias. C’est un froid constat qui veut redonner un sens à la complexité des évènements, des existences. A la complexité des êtres. Au lieu de déterrer des cadavres comme le craint une intervenante, Bruno Masi leur redonne vie et évite l’oubli.

    Eric