Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

Henri Girard

La Remanence

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13 janvier 2016

Ce délicieux roman se passe au fin fond de la campagne, dans ces années 60 qui verront exploser pas mal de codes, de coutumes, de mœurs, même si l'on est encore loin de tout cela dans ce village. Il commence comme un roman d'enfants qui ont envie de s'occuper ensemble, qui vont fréquenter la même école à la classe unique, qui vont s'unir pour la vie avec l'inévitable échange de serment. Contrairement à ce que pourraient laisser penser le titre et mon résumé, ce n'est pas un roman jeunesse. C'est un hommage appuyé et revendiqué à Enid Blyton, la romancière britannique et à sa série mondialement connue Le Club des Cinq, qui avait en son sein : François (même prénom ici), Mick (joué par Michel), Claude (interprété par Marsel-Claude), Annie (les sœurs Hanni qui s'y mettent à deux, normal pour des jumelles) et Dagobert dont le nom oscillera pour les Six entre Dago et... Lechien. Mais, contrairement à la série anglaise, on fait connaissance avec les parents des enfants qui deviendront des personnages importants, au même titre que leurs rejetons. Tous sont typiques, sympathiques, même lorsqu'ils ont des relations compliquées avec les autres, on sent une vraie souffrance, un mal-être qui les empêche de vivre sereinement. Et si c'était un secret ? Celui que tout le monde tente de cacher, sans y parvenir vraiment. Ou un autre, plus personnel ?

Une mention particulière pour Placide Hanni, le père des jumelles, représentant en spiritueux, qui ne peut s'empêcher de partir dans des envolées lyriques souvent émaillées de mots rares : "Va cuver ailleurs ! Madame Labasle peut prétendre à un autre... sigisbée*.", ou encore, un peu plus loin : "Oh, Dame Labasle ! Il me revient de vous gratifier, répondit Placide. Votre charme mérite plus que ma modeste sympathie. Ne vous turlupinez point, je pars de ce pas afin de le ramener dans sa... hum... thébaïde.**" (p.87) ; mais aussi souvent parasitées par des néologismes, des à-peu-près souvent drôles (comme ce "gratifier" ci-dessus). Je l'imagine bien faisant de grands gestes en même temps qu'il parle, je le visualise parfaitement.

Un roman fort agréable, écrit de très jolie manière, élégante, fine et délicate. Plus profond que le titre et le thème laissent à penser, grâce aux beaux personnages. J'ai beaucoup aimé cette chronique villageoise qui fait la part belle à l'humain, à la rencontre : chacun des protagonistes s'ouvrira à l'autre et se découvrira des talents, un hymne à la découverte de l'autre et à son enrichissement personnel grâce à la différence ici, plus sociale qu'ethnique, lieu et période obligent.

Pour les incultes (comme moi, puisque j'ai usé du dictionnaire -merci Larousse-, je connaissais les mots mais point leurs significations) :

*Sigisbée : chevalier servant d'une dame

**Thébaïde : lieu isolé propre à la méditation

Je lis, avec ce titre, mon troisième livre édité par les éditions de la Rémanence, tous très différents (Au-delà des 125 palmiers, Travers de routes) et je salue le travail de découverte et d'originalité. Je ne peux que vous inciter à vous pencher sur cette jeune et petite maison de Vénissieux.

Conseillé par
13 janvier 2016

Autant vous le dire tout de suite, je vous parle ici d'un livre que je n'ai pas encore fini. Mais je sais qu'il est bien puisque Edgar Allan Poe, c'est bien, c'est même encore mieux que bien. Qui ne connaît pas au moins de lui les "Histoires extraordinaires" : La lettre volée, Le scarabée d'or, Double assassinat dans la rue Morgue ? Je les ai lues, adolescent, en même temps que je m'empiffrais de séries Les six compagnons, ou des romans de Jules Verne, et que je commençais tout juste à lire les romans de Victor Hugo, "Les Misérables" mon premier Hugo. Mais autant, j'ai arrêté la série française avec six copains, autant j'ai continué à lire et relire Jules Verne, Victor Hugo et Edgar Allan Poe.

On ne présente plus Edgar Allan Poe, écrivain américain du 19° siècle (1809/1849), célèbre pour ses contes et ses Histoires extraordinaires, les plus marquantes pour moi furent Double assassinat dans la rue Morgue et Le scarabée d'or . On dit souvent de lui qu'il est le précurseur du roman policier, de la science fiction ou de l'anticipation. Je ne sais pas si c'est la réalité, mais il est sans doute celui que j'ai lu en premier dans quasiment tous ces genres, et celui qui m'a donné envie de continuer à lire de l'aventure. D'ailleurs les meilleurs ne s'y sont pas trompés puisque Charles Baudelaire le traduisit ainsi que Stéphane Mallarmé pour la poésie.

C'est un livre que je ne vais pas dévorer en entier, je vais piquer dedans, une histoire entre deux autres lectures, je ne vous cacherai pas qu'à peine reçu, je l'ai déjà commencé -et c'est toujours aussi excellent- et qu'il traîne dans un endroit où je peux le reprendre rapidement, à la maison, car ses dimensions m'empêchent de l'emporter en dehors. C'est un ouvrage fait pour rester dans une bibliothèque : belle couverture, tranche supérieure dorée, feuilles fines et écriture dense. Enfin, quand je dis "rester", non, pas exactement, il doit en être sorti pour le montrer, le lire et le faire lire. Vade retro les bouquins qu'on expose sans jamais les ouvrir !

Une belle idée cadeau pour les amateurs de lectures ou l'énigme, le mystère et l'intrigue ont la part belle. En plus, il ne coûte que 32€

Autoportrait d'un fils, d'un peintre, d'un fou

Le Livre de poche

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15 décembre 2015

C'est Aifelle qui m'a suggéré cette lecture dans un commentaire sur mon article concernant le livre de l'un des amis poches de Gérard Garouste, l'un des fameux pensionnaires, Jean-Michel Ribes, Mille et un morceaux. Merci beaucoup, car c'est une lecture forte, que j'ai alourdie de notes, de phrases ou paragraphes soulignés. Le tout début par exemple : "Quand Isabelle, la dame qui s'occupait de lui, m'a appelé en pleurs, je suis parti vers Bourg-la-Reine et la maison de meulière, 15 avenue de Bellevue. Il était dans son lit, la tête posée sur les mains, il semblait dormir tranquillement, en accord avec lui-même. Mais il était mort et j'étais soulagé." (p.11) Plus loin, Gérard Garouste parle un peu de ses ascendants et des secrets de famille qui plombent les générations suivantes. Son père, né en 1919 héritier des magasins de meubles Garouste et fils qui profitera de la guerre : "Il n'avait pas pu faire héros. Alors il avait fait salaud. Son éducation de bon catholique l'y préparait. Il appartenait à un monde d'illusions et de certitudes, où les Juifs avaient une sale réputation." (p.25)

Gérard Garouste revient sur son enfance, la peur qu'inspirait son père, sa haine des juifs et sa misanthropie de manière générale. Son sauvetage, il le doit à plusieurs causes : la peinture, l'amour d'Élisabeth qui deviendra sa femme et les livres. Pas n'importe lesquels : La divine comédie de Dante, puis plus tard le Talmud et la Torah. Il apprend l'hébreu, discute avec des rabbins : "Et sans le voir je dérivais doucement vers ce monde juif obscur et malin, dont on m'avait appris à me méfier." (p.75) Beaucoup de pages sur l'antisémitisme de son père et sur son apprentissage de ce que sont les juifs jusqu'à en presque épouser la religion, comme pour contrebalancer la haine du père.

Le livre est aussi une belle réflexion sur la peinture, la création, l'argent qui entoure l'art et sur Picasso qui "a cassé le jouet... Il avait cannibalisé, brisé la peinture, ses modèles, ses paysages, et construit une œuvre unique... Il a rendu classique tout ce qui viendrait après lui. Il est la peinture et son aboutissement. Que faire après lui ? Et Marcel Duchamp qui venait de mourir ? On était en 1968, et nul n'a voulu voir, alors, que la révolution de l'art était terminée, Duchamp en était le point final. Il avait renoncé à la peinture, décrété l'objet comme œuvre et l'artiste celui qui regarde. Il avait joué avec notre mémoire, notre culture, notre rétine et avait poussé si loin le défi, que tout avait été fait et défait." (p.61/62)

Et puis la folie, les crises de délire fortes, la maladie qui effraie son entourage, ses fils particulièrement : "Selon les époques, les mots me concernant ont changé : on m'a dit maniaco-dépressif ou bipolaire... Un siècle plus tôt, on aurait juste dit fou. Je veux bien." (p.88) Les séjours à Sainte-Anne, la camisole chimique, les retours et les rechutes...

Une histoire poignante, sincère et directe, pas de détours, de paraphrases pour expliquer ceci ou cela, le récit est brut, franc, ce qui explique aussi sa relative et bienvenue brièveté (156 pages en poche). Une vie pas commune, pas particulièrement joyeuse, mais pas écrite pour faire pleurer ou pour s'apitoyer, sans doute pour donner quelques explications aux toiles du peintre, car toute sa vie est dans sa peinture ainsi qu'il l'écrit.

Un texte dense et bouleversant des titres et sous-titre jusqu'à la fin, sans doute comme les toiles du peintre que j'avoue ne pas bien connaître, seulement par mes recherches sur Internet.

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15 décembre 2015

Quelle belle idée de rééditer les romans de Pascal Garnier, spécialiste du roman noir français, décédé en 2010. J'en ai lu pas mal, pas tous chroniqués ici, car lus avant la création du blog. Néanmoins, vous pouvez relire -avec indulgence, je démarrais- mes billets sur Les haut du bas, Lune captive dans un œil mort, Le grand loin. A chaque fois que je lis un roman de Pascal Garnier ou que j'en relis un, comme Comment va la douleur ? que je relis ici, je me dis : "Ah, c'est celui-ci que je préfère". Donc pour cet article, c'est Comment va la douleur ? que je préfère jusqu'à ce que je relise un roman de l'auteur.

Pascal Garnier aime se faire rencontrer des personnages a priori totalement opposés. Qui aurait pu croire que Simon, vieux tueur à gages fatigué, malade, usé et blasé rencontrerait un jeune homme gai et positif et qu'ils s'entendraient ? Et la rencontre avec Fiona la jeune maman célibataire et son bébé Violette ? Et celle de Rose, la femme qui rêve de rencontrer l'homme de sa vie à l'âge de la retraite ? A partir de personnages banals (bon, je vous l'accorde, le tueur à gages ce n'est pas courant), l'écrivain bâtit une histoire noire réjouissante avec un grain de sable qui dévie les plans des uns et des autres. Anaïs, la mère de Bernard apporte la touche d'humour, de légèreté ; sa description ainsi que celles de ses multiples activités et de ses multiples déconfitures dans son pas-de-porte vaut le détour. Elle a également des réparties savoureuses :

"-J'aime bien être fatiguée, ça me repose...

- Et toi, qu'est-ce que tu vas faire ?

- Comme d'habitude, une bonne sieste avant d'aller me coucher." (p.31/32)

Le ton est caustique, l'écriture oscille entre belles phrases bien travaillées pour les descriptions et dialogues au vocabulaire courant voire familier, un régal. Pascal Garnier parle de la vie, de la mort, de l'amour, de la difficulté à trouver sa place dans la société. Son roman est avant tout humain comme les autres, basé sur les rencontres, les interactions entre des gens pas censés se parler. Certains y trouvent leur compte dès le départ, comme Bernard, pour d'autres c'est un peu plus long, mais chacun malgré tout pourra retirer du positif d'avoir pris du temps pour connaître celui ou celle qui lui est opposé. Comme quoi, j'ai l'air d'insister au fil de mes articles, mais tout est toujours dans la rencontre, dans la connaissance d'autrui aussi différent de nous soit-il et je dirais même plus, le plus différent de nous il est, le plus on s'enrichit.

Je ne sais pas si Zulma va republier l'ensemble des romans de Pascal Garnier, mais ce serait une excellente idée, relire Comment va la douleur ? m'a fait un bien fou. Je relirais bien les tout premiers que j'avais bien aimés, L'A26 entre autres m'avait laissé un très bon souvenir.

PS : il a été tiré de ce roman un téléfilm avec Bernard Le Coq en Simon. Je l'avais vu et trouvé pas mal du tout.

L'humanitaire, cahin-caha

La Remanence

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15 décembre 2015

Damien Personnaz est un journaliste et écrivain franco-suisse. Jeune homme, il s'est aventuré sur des terres lointaines et en perpétuel conflit : le Tibet, l'Afrique du Sud de l'apartheid (en 1980) et le Pakistan. Puis, quelques années plus tard, il décide de travailler pour une organisation humanitaire, il sera celui qui va sur les lieux des guerres, des génocides et rendra compte de l'urgence des aides des ONG. Rwanda, Liberia, Erythrée, Angola, Kurdistan turc seront ces destinations dangereuses. Reprenant ses notes, des photos, ses carnets de l'époque -les voyages se déroulent de 1978 à 1996-, Damien Personnaz écrit ce qu'il appelle "la face cachée" des articles rédigés pour son employeur.

Il appelle cela "la face cachée", car pour témoigner de ce qu'il voyait sur le terrain, il lui était interdit de se répandre. Il fallait faire pleurer, parler des enfants qui meurent, des femmes violées, mais point trop et surtout ne pas dire la misère, les vols, les violences qui avaient cours dans les camps de réfugiés, la puanteur, les comportements des victimes : "... elles sont parfois passées maitres dans l'art de geindre ou de manipuler les bons sentiments ou la mauvaise conscience de ceux qui sont censés leur porter secours. La surenchère joue aussi son rôle : on est moins enclin à aider une victime qui se tait qu'une victime qui se lamente haut et fort. Par ailleurs, un opprimé peut passer rapidement dans le camp des bourreaux. Constat qui dérange mais constat quand même. Il faut aider, bien sûr, mais n'être pas dupe." (p.15)

Là, il n'hésite pas, il raconte ce qu'il a vu et ça commence par l'Afrique du Sud et sa première "trahison" pour sauver sa peau et surtout celle du chauffeur noir qui l'a aidé. Puis le Tibet ou plutôt les Tibétains en exil en Inde à McLeod Ganj, et tout de suite les images nous viennent à l'esprit, l'Himalaya, les temples, les lamas, ... Mais la première chose qui frappe Damien Personnaz, c'est la saleté, la vermine dans les lits, les Occidentaux défoncés, ... Ensuite, vivre avec eux c'est apprendre à les connaître et repartir avec une évidence : "les Tibétains sont chaleureux, souriants, hospitaliers et souvent moqueurs." citation tirée d'une encyclopédie trouvée là-haut.

Puis viendront les zones de guerre, là où la misère, la peur, les violences sont terribles. Certaines descriptions sont pires que les images que l'on peut voir à la télévision. Et dans ces territoires saccagés, parmi ces populations décimées, apeurées, pauvres à un point qu'on n'imagine même pas, Damien Personnaz se questionne sur son utilité : "Je vois, capte, digère leur désespoir. On attend de moi de le régurgiter aux conférences de presse, à des journalistes de salon installés au siège de l'ONU, de leur donner des mots comme "urgence absolue", "détresse poignante de ceux qui ont tout perdu", "cauchemar humanitaire", etc. Eux voudront des faits, des chiffres, je dispose de quelques faits, je croule sous le poids des phrases essayant en vain de transcrire l'enfer. Il s'agit d'alerter les médias en décrivant l'urgence. Il s'agit également de rassurer les potentiels donateurs : l'organisation sait ce qu'elle fait et leur argent sera correctement utilisé. L'un n'empêche pas l'autre mais la frontière entre l'exclamation et le ton diplomatique reste ténue. Je mesure le poids de mon impuissance et l'inutilité de ma petite personne." (p.126/127)

Un bouquin à rapprocher de celui de Tiziano Terzani, Lettres contre la guerre. Là où T. Terzani parle de spiritualité et de recherche de la paix, Damien Personnaz montre ce qu'il a vu : l'horreur parfois, la peur souvent, la misère, les gens qui s'entretuent, des mères prêtes à donner leurs enfants pour qu'ils aient une chance de s'en sortir sans devenir des enfants-soldats. Il n'explique pas, il constate, même si parfois il remonte aux sources du conflit pour qu'on puisse mieux comprendre. J'ai lu ce recueil avec le sentiment bizarre de me sentir nanti, bien au chaud sur mon canapé, et dans le même temps impuissant à faire quoi que ce soit pour lutter contre ces fléaux. Tellement impuissant que ces guerres durent encore et toujours, qu'elles se déplacent de quelques kilomètres. C'est la raison des conflits qui change, il y a vingt ou trente ans, il était question de territoires, d'ethnies qui ne pouvaient plus se supporter. Aujourd'hui, on parle plus de religion, mais les combattants sont les mêmes et les victimes également.