Ludovic P.

J'aime les récits d'aventure, les romans russes, les anti héros américians et l'absurde quand il révèle le tragique. Ma BD de référence: Portugal, de Cyril Pedrosa.

Conseillé par (Libraire)
23 juillet 2015

Elégie pour Détroit

Détroit. 2008. La crise démolit la ville. Méthodiquement, quartier après quartier, institution après institution. Les delaers recrutent le personnel que les usines n'embauchent plus. Les maisons sont abandonnées, les magasins ferment et des gamins disparaissent. Et c'est ici, dans la capitale mondiale de l'automobile qu'Eugene est envoyé pour conduire un projet qui ne verra jamais le jour. Mais il faut bien sauver les apparences... C'est ce que tente de faire aussi l'inspecteur Brown, surnageant au milieu de ces dizaines de disparitions de gamins dont tout le monde se fout. Charlie est l'un d'entre eux. Ils jouent aux indiens dans une école désaffectée avec son pote Bill, hilare: "C'est Detroit, mon pote. Un putain de terrain vague.Un putain de terrain de jeux."

Comme dans ces précédents romans, Thomas B. Reverdy entremêle la vie de ses personnages, qui se croisent sans se voir, sans se connaitre, laissant à la ville le soin de conduire le récit. La figure du flic revient, comme dans L'envers du monde et Les évaporés, symbole de cette quête de sens. Comment en est-on arrivé là, s’interroge-t-il ? Une fois encore, Reverdy fait mouche. Son écriture ciselée et sensible nous plonge dans cette ville mourante, nous donnant "l'occasion troublante, normalement impensable, de contempler les ruines de notre propre civilisation". C'est brillant, fin. Le portrait de ce Détroit à l'agonie est de ceux qui resteront. Il n'y a jamais de grands drames avec Reverdy. Mais c'est beau, authentique si l'on peut dire, ses personnages le sont. C'est la vie. En mieux.

Conseillé par (Libraire)
16 juillet 2015

Les souveraines apparences

Après s'être attaqué au puritanisme américain en milieu rural avec brio dans son premier roman, Les secrets de Bent Road, Lori Roy continue d'écorner la bienséance et le règne dominant des apparences dans l'Amérique blanche de la fin des années 1950. Déjà dans Bent Road, il était question de la ville de Détroit, que les personnages quittaient devant la montée des émeutes raciales pour rejoindre le Kansas. Ici, c'est dans le quartier blanc de la ville que l'auteur américaine plante le décor de ce récit qui hésite entre le roman noir et et le roman de mœurs. Une jeune femme "de couleur" est retrouvé assassinée dans une demeure délabrée au nord du quartier. Mais l'enquête est rapidement éclipsée par la disparition Elizabeth, une jeune femme simplette. Et blanche. C'est le premier pavé dans la mare. Entre incompréhension et soupçon à l'égard de la petite communauté noire, un climat hostile s'empare des lieux tandis que les recherches s'organisent. Avec minutie, Lory Roy ouvre la porte de ces pavillons américains et nous montre que derrière les apparences (maisons entretenues, épouses dociles, sinon serviles, maris travailleurs), la haine, la médiocrité, la tromperie, la suspicion et plus horrible encore la pédophilie ont cours.

Lentement et avec un art consumé de la construction et des retournements (jusqu'aux dernières pages), Lori Roy poursuit sa démystification d'une certaine idée de l’Amérique. Sans asséner de morale. A suivre donc.

Conseillé par (Libraire)
16 juillet 2015

Sympathy for the devil

Si la nature se distingue parfois par des accès de violence, à ce jeu-là, Jim Harrison lui préfère l'homme et en l’occurrence la famille Ames dans son dernier roman Pêchés capitaux. L'inspecteur Sunderson, retraité, n'aspire qu'à profiter de la vie en s'installant dans un bungalow de pêche au Michigan. Il ne s'est jamais remis du départ de sa femme, qu'il côtoie encore, et lutte avec ses vieux démons (l'alcool, le remord). Mais la proximité d'une famille de tarés va bousculer ses habitudes. En toute impunité, ses voisins, les Ames, violent, tuent, saccagent, menacent, tabassent et outrepassent les interdits comme s'il s'agissait d'un concours. Seules les femmes du clan semblent échapper à cette filiation avec le Mal et endurent ce qu'elles peuvent. Jusqu'à ce que l'une d'elles, dont s'est éprise le brave Sunderson, soit tuée. Dès lors, et bien que d'abord hésitant, Sunderson va s'ériger en rédempteur. Mais peut-on redresser les torts quand on est soi-même en infraction avec la morale? Jim Harrison ausculte le désir (masculin) et son emprise sur nos actes. Et si tout, finalement, ne se résumait qu'à la question de la résistance ou l'abdication face à nos pulsions?

Prix Interallié 2015

Grasset

Conseillé par (Libraire)
14 juillet 2015

Inimitable

Après l'énorme succès critique et commercial de HHhH, Laurent Binet revient au roman avec La septième fonction du langage. Dans cet ovni s'entremêlent enquête policière, cours de sémiologie, joute verbale dans une société secrète et satire des milieux intellectuels parisiens des années 80. A partir de la mort, bien réelle, de Roland Barthes, renversé par une camionnette le 25 février 1980, Binet invente une trame qui a pour enjeu une formule, découverte par le sémiologue français, qui donnerait à celui qui la possède l'éloquence absolue, et donc une force de persuasion massive... La mort de Barthes intervient en pleine course électorale, et il sortait en outre d'un dîner avec Mitterrand. Pour le commissaire Bayard, missionné par Giscard, il ne peut s'agir que d'un assassinat. Dans son enquête, Bayard entraîne avec lui un jeune universitaire, Simon, censé l'aider dans la compréhension des règles universitaires et du jargon de la sémiologie.

Binet continue d'interroger les rapports ambigus entre fiction et réalité (en atteste la première phrase: "La vie n'est pas un roman"), les entortillant tant et tant que Simon finit par se demander s'il n'est pas un personnage fictif. En bonus, Binet dresse sur 500 pages les portraits tordants de BHL et Sollers qui méritent à eux seuls la lecture du roman.

Au final, Binet propose un roman original qui hésite sans jamais trancher entre la grosse farce (en respectant les codes du genre policier) et un polar intellectuel. Inimitable.

Conseillé par (Libraire)
4 juillet 2015

A l'intelligence d'un thriller politique, Dawa combine la puissance d'une vengeance personnelle et le rythme d'un page turner. Autrement dit, c'est terriblement efficace. D'autant plus que l'auteur met à profit ses expériences, tant dans les salles de boxe de Seine Saint-Denis que sur les bancs de Science-Po, pour offrir un polar d'un effrayant réalisme. La qualité des dialogues pour lesquels l'auteur privilégie la vraisemblance à la recherche de la punch-line est également à saluer. A lire d'urgence donc, si l'on ne craint pas de voir une France à feu et à sang...